Prendre la morale au sérieux
À un ami qui l’interrogeait pour savoir si sa vie avait été à la hauteur de ses espérances, le philosophe Derek Parfit a répondu ceci : « Ma vie est mon travail. Je crois que j’ai trouvé quelques bonnes raisons de croire que les valeurs ne sont pas simplement subjectives et que certaines choses ont une réelle importance. Si mes arguments ne sont pas concluants, ma vie aura été un beau gâchis. »
Qu’un philosophe puisse croire que certaines valeurs sont objectives et qu’on puisse argumenter en ce sens surprendra celles et ceux qui se prélassent dans les facilités superficielles du relativisme. Et on les entend ricaner devant notre philosophe qui voudrait qu’au moins une partie de l’éthique soit clarifiée afin de nous aider à identifier ce que nous devons faire. Ne sommes-nous pas libérés de ces lubies métaphysiques et morales, nous qui devons créer nos vies tels des artistes, plus ou moins ratés apparemment ?
Il n’est cependant pas si étrange ni si difficile d’admettre que des valeurs puissent être objectives.
Imaginons, nous dit Parfit dans Les raisons et les personnes, un hédoniste toujours soucieux de ce qui lui fait plaisir à une exception près : les mardis. Notre homme programme ses interventions chirurgicales le mardi et jamais un autre jour de la semaine. Il sait que les opérations sont très douloureuses, mais les douleurs ayant lieu le mardi l’indiffèrent. Notre hédoniste a une sensibilité bien particulière : il ne valorise pas les mardis comme les autres jours de la semaine. Est-il rationnel de pratiquer une telle exception ? Toute valorisation est-elle purement subjective ?
Qu’une douleur ait lieu un mardi n’est pas une bonne raison pour la négliger. Que les désirs et les impressions subjectives de notre hédoniste l’amènent à négliger ce qui lui arrive le mardi ne lui donne aucune bonne raison d’organiser sa vie ainsi. Nous serions nombreux à lui conseiller de mieux réfléchir à la situation.