La religion dans les limites de la simple raison. Penser avec Jacques Bouveresse
Contre les Lumières accusées d’avoir liquidé l’héritage religieux, on prophétise un peu vite le retour des religions traditionnelles. En philosophe rationaliste, Jacques Bouveresse propose plutôt de penser le religieux selon l’esprit scientifique, mais sans verser dans la critique unilatérale, afin de voir ce que nous pouvons encore faire des religions. En cheminant – de Nietzsche à Russell et Wittgenstein –, il montre ainsi toute la valeur d’une éthique personnelle nourrie d’images religieuses libérées des superstitions et des institutions religieuses.
« Une question religieuse est seulement, ou bien une question de vie, ou bien un bavardage », affirmait Wittgenstein. Et Bouveresse de le suivre sur trois points. Tout d’abord, si une religion est intéressante ou pertinente, c’est parce que les images religieuses comme le jugement dernier ou la prédestination portent des questions existentielles auxquelles il est impératif de se confronter. Mais, et c’est le deuxième point, cette confrontation n’est pas la soumission à une autorité transcendante ou à une tradition garantie par son origine divine. Elle est la condition pour trouver un sens à sa vie ici-bas, dans la plus parfaite immanence. Enfin, le risque des croyances religieuses et des pratiques qui les accompagnent est de déboucher sur un non-sens sans intérêt, un langage qui, non seulement ne parle de rien, mais est tout simplement faux ; en outre, un langage qui ne permet pas de mieux vivre, d’être plus lucide sur soi ou d’être plus honnête avec autrui.
Une critique de l’héritage religieux est donc nécessaire, nous dit Bouveresse. Mais une critique qui ne soit pas une simple destruction de la religion au profit d’une forme de scientisme, parce qu’elle s’accompagne d’une réflexion sur le rationalisme.
Loin de proposer une théorie générale des religions, Bouveresse a d’abord cherché à savoir ce qu’on pourrait en faire étant donné notre situation historique. Avec les Lumières, la modernité a vu naître le projet d’une critique qui met en doute la double prétention des religions à la vérité et à ordonner la vie individuelle et collective. Or la dénonciation des superstitions et le bilan historique calamiteux des institutions religieuses ne doivent pas mener à une forme de triomphalisme séculier où la raison scientifique et la civilisation qui en découle, en particulier dans ses aspects techniques et politiques, seraient immunisées contre toute remise en cause radicale.