Comment la biologie continue de structurer l’identité raciale
Dans une émission récente de France Culture, le politiste Daniel Sabbagh déclarait : « L’idée comme quoi, aujourd’hui, les sciences sociales auraient établi qu’il y a une seule et unique définition de la race qui serait une définition sociale, un rapport de pouvoir, qui n’aurait rien à voir avec la biologie, est à mon avis complètement naïve et à mon avis complètement inadéquate. »
Cette ouverture du débat à de nouvelles conceptualisations des races nous donne l’occasion de tenter d’y voir un peu plus clair.
En effet, au sein même de la critique antiraciste commence à émerger l’idée que la lutte contre le racisme devrait rouvrir le dossier du lien entre race et biologie. Prolongeant les réflexions de l’universitaire afro-américain Michael Hardimon – dont l’ouvrage majeur, Repenser la race vient d’être traduit – Daniel Sabbagh plaide « pour une désagrégation langagière » : le mot « race » s’entend en plusieurs sens, certains sont biologiques, d’autres sont sociaux et historiques.
Tentons de démêler ces différents usages.
La lutte contre le racisme s’est longtemps appuyée sur la déconstruction de l’idéologie raciste, qui invoquait des bases biologiques pour, d’une part, justifier le classement des êtres humains selon différentes races et, d’autre part, pour hiérarchiser ces races.
L’historicisation du concept de « race » est centrale dans le dispositif critique et militant. Elle permet à la fois de rompre avec l’affirmation mensongère qu’il existe objectivement des races (au sens où l’entendent les racistes) et d’orienter la réflexion vers les processus de pouvoir qui donnent son sens au concept de « race » comme outil d’infériorisation et de justification des violences et de l’exploitation.
D’abord, la pseudo-science raciale se révèle être, une pratique raciste ajustée à des politiques coloniales et impériales. Ainsi, le concept de « race » est sans fondement biologique et ne décrit en rien la diversité humaine. Par contre, le racisme est à toujours à repenser et à critiquer. Car il est un phénomène social bien réel dont les effets sont destructeurs pour les personnes victimes de racisme. Nier toute valeur objective à ce concept de « race » permet justement de saper le cœur même du racisme pour prendre la mesure de l’ampleur des processus sociaux d’assignation à une race.
Ce travail critique doit être salué. Et il peut parfois repris pour faire face aux résurgences du racisme biologisant. Mais comme y insiste Daniel Sabbagh sur France Culture, ce travail ne suffit plus. En partant du « cas Kamala Harris », la candidate démocrate aux élections présidentielles américaines, on peut noter deux phénomènes concomitants.
D’abord qu’elle est l’objet d’un racisme anti-Noirs – ce que permet d’expliquer et de contester la critique historique et sociale classique du racisme.
Le second phénomène est plus difficile à comprendre : certains membres de la communauté noire refusent à la métisse Kamala Harris le droit de se désigner comme noire. D’abord parce qu’elle est d’origine indienne et jamaïcaine. Ensuite parce que sa trajectoire sociale fait qu’elle ne s’est guère éloignée des milieux blancs favorisés. Lui manque donc l’expérience noire des discriminations, héritière de l’esclavage et de la déportation hors d’Afrique.
La malheureuse candidate se voit donc assignée par les racistes à une « race inférieure » en même temps qu’une partie de la communauté noire lui interdit de revendiquer une identité noire.